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« Chaque Jour est un bon Jour »
23 mars 2011

Retour en France : 18 mars 2011

 

J’ai raté l’avion du 17. Le boarding pass dans la main, prête à me faire estampiller « sortie de territoire » sur le passeport, je me rends compte que sans le permis de ré-entrée sur le sol japonais, c’en est fini de mon aventure vacances-travail, je ne pourrai revenir qu’en touriste. C’est con, mais mon sang ne fait qu’un tour : pas moyen, je me fais faire le permis. On me fait faire en urgence les formalités, mais manque de temps, l’embarquement se termine, « Vous partirez par le vol de demain mademoiselle ».

Retour 2h30 plus tard à Kyôto, où je ne pensais pas revenir et la nuit de rab’ passée là-bas comme un cadeau inattendu me calmera un peu les nerfs. Dô-san et Rin-san, (une jeune femme de passage) sont là, ils regardent « Hôtel Rwanda ». Là-bas aussi les Occidentaux ont fui : hypocrisie de qui part à l’étranger et n’assume pas d’y être en cas de danger. Hypocrisie de ne pas jouer sa vie dans chacune de ses actions. L’humanitaire au grand cœur peut toujours rentrer dans son pays si ça tourne mal…

Je n’aurais jamais dit que ça m’arriverait. J’étais à fond dedans, hyper concentrée, j’avais dépassé des tas d’incompréhensions, de colères, de frustrations face au système confucéen et autres obstacles culturels. J’étais entièrement dévouée de 5h du matin à 22h le soir à la vie de la communauté, j’avais encore des idées d’amélioration du potager, je voulais faire ma pâte miso moi-même et j’apprenais enfin à me reposer les jours de repos… On comptait sur moi dans l’organisation des cérémonies, on me faisait l’honneur de me donner des responsabilités.  J’avais oublié qui j’étais, je n’étais plus étrangère, ou presque…

13 mars : on est tous complètements bourrés au sortir de la soirée d’adieu de feu Annaka-san. C’est là qu’on reçoit le gros choc de la nouvelle du tremblement de terre et du tsunami. On se doute déjà que les morts se compteront par milliers. Puis la préoccupation grandira jour après jour autour des centrales nucléaires d’Ibaraki et de Fukushima, dévastées par le tsunami.

Inquiétudes certainement fondées, mais c’est là que l’on se rend compte 1) des différences de réactions d’une contrée à l’autre et 2) de l’influence des medias.

Autant les Japonais semblent sous-informés et ce n’est pas l’inquiétude qui les étouffe. De toute façon « shikata ga nai », « on n’y peut rien », et puis où d’autre aller ? Chez les bouddhistes, être là où l’on est en cas de catastrophe, c’est « en », la destinée, « ce qui n’est pas un hasard ». Vivre pleinement ce que l’on doit là où l’on est sans fuir ses engagements, ses responsabilités, ne pas quitter le groupe. Peut importe où l’on meurt, la vie ne nous appartient pas, mais mourir dignement.

En France, médias trop contents d’avoir du sensationnel, ils en font des tonnes et des caisses ; à les entendre, c’est une question d’heures, ton dramatisant à souhait... Les familles des Français vivant au Japon, paniquent, bien sûr. Des mails affolés, on m’appelle, on insiste, on me décrit en détail les conséquences d’une irradiation... Tous les Français que je croiserai à l’aéroport, même ceux de Tôkyô me diront la même chose : « on n’est pas vraiment inquiets, on rentre pour la famille ». Merci, mais on aurait tout de même souhaité un peu plus de retenue dans vos conseils les gars.

C’est ainsi que du 15 au 18, je n’ai fait que pleurer.

Pleuré de malaise. Le cul entre deux chaises, quoi. Si je reste au Japon, fidèle à mon entourage et aux principes qui le meuvent, non seulement mes proches se font du souci mais ils ne comprennent pas que je reste (« tu veux mourir à 34 ans ou quoi? »). Si je rentre, c’est interprété comme une fuite, c’est lâche et pas solidaire envers mes amis Japonais, presque humiliant. Il n’y a pas d’option satisfaisante pour les deux parties.

Pleuré de dépit, une fois la décision prise. Quitter cet univers que je m’étais approprié et  dans lequel je jouais avec plus ou moins de succès au décentrement culturel, à la déconstruction de soi et à l’apprentissage du dévouement et de la satisfaction dans un quotidien rigoureux et sobre.

Et puis pleuré de honte. Je crois que c’était la première fois.

Honte de partir comme ça. Je ne pourrais jamais revenir, pensais-je. Non seulement je rentre, (« c’est normal de rentrer rassurer ta mère… »), mais je rentre FISSA !! C’est comme si je jetais à la face de tous mes amis et aux gens envers qui je suis redevable mon étrangéité. Allez salut ! Je ne suis pas des vôtres les gars ! C’était sympa merci, mais je préfère rentrer vieillir en France. « Sauver sa peau, c’est bien un truc de Blanc ça », me dit l’ami Dô, comme au Rwanda en 94, hein. « Non mais ce n’est pas grave, c’est ni bien ni mal, c’est juste votre culture : il y a des vies qui en valent plus que d’autres ». Oui mais moi ? Je ne fuis pas la mort moi ! Hors de question de rentrer ! Je m’en fous d’être irradiée, je suis là où je suis. Haha ! Tu fais la maligne, mais imagine que tu te prennes vraiment un nuage radioactif sur le coin de la gueule pour être restée auprès de tes proches Japonais et que ce soit tes proches Français qui en subissent les douloureuses conséquences pendant 20 ans…

Bref, oui, je suis rentrée en sécurité et indignement, parce que rester n’était pas tellement plus glorieux, vu l’état dans lequel cela aurait mis mes proches. C’est très dur de supporter l’idée que les gens se font du souci pour soi à 20 000 bornes de là, surtout si (ma naturalisation japonaise n’étant pas au programme) c’est auprès de ces gens-là qu’on a envie de vivre plus tard.

 

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